Pour une démocratie directe

Épisode 5 : La corruption

Un cadre légal ultra-permissif et laxiste

Voilà, ça c’est pour l’attitude directe des élu·e·s vis-à-vis des corrompu·e·s, mais il y a aussi le cadre légal qui témoigne du fait qu’iels ne veulent pas véritablement lutter contre la corruption.

Le cadre légal donc reste extrêmement peu transparent et peu contraignant, même si vous avez des fois quelques lois pour faire officiellement de la transparence, en réalité ces lois sont largement insuffisantes et facilement contournables.

Par exemple, il existe depuis 2011 un registre européen des lobbies au Parlement européen… sauf que ce registre est facultatif, et qu’il y a pas de véritable contrôle pour vérifier que ce qui y est noté est vrai. Même chose au parlement français : il existe un registre officiel des lobbies, sauf que ce registre est resté facultatif jusqu’en 2016, et du coup la plupart des lobbyistes s’y inscrivaient pas. On sait par exemple qu’entre 2007 et 2010, en à peine trois ans, il y a plus de 15 000 personnes, représentant presque 5 000 organismes différents, qui ont été auditionnées par des député·e·s. Eh bien, à peu près sur la même période, le registre des lobbies officiel de l’Assemblée nationale contenait à peine plus d’une centaine de noms

Et même aujourd’hui ou ce registre a été rendu (théoriquement) obligatoire, on sait que c’est pas toujours respecté, et qu’il y a encore des lobbyistes qui s’y inscrivent pas, vu qu’il y a pas vraiment de contrôle ni de sanctions.

Il y a aussi les déclarations d’intérêts des parlementaires, qui ont été publiées suite à l’affaire Cahuzac. Là on pourrait se dire « cool c’est une avancée ». Sauf que ces déclarations d’intérêt ont été initialement publiées au format manuscrit, ce qui était quand même hallucinant en 2014, et donc étaient très difficilement exploitables au début pour faire des statistiques et avoir une vision globale de la situation. C’est uniquement parce qu’il y a une association (Regards citoyens) et des milliers de particuliers volontaires qui ont accepté de faire un travail de numérisation manuelle, que ces données sont devenues un tout petit peu utiles et exploitables, sinon c’était juste une loi d’affichage mais sans réel impact !

Autre exemple encore : en 2014 toujours, dans la même lancée, il y a une loi qui a été votée sur la « transparence du patrimoine des parlementaires ». Là on se dit « super » hein, c’est une avancée, on va pouvoir savoir combien possèdent nos élu·e·s ! Sauf que, ici encore, tout a été fait pour décourager une véritable transparence, jusqu’à la caricature, puisque dans la pratique seul·e·s les électeurs·trices inscrit·e·s dans une circonscription donnée peuvent consulter la déclaration de patrimoine de l’élu·e de cette circonscription, et ne peuvent le faire qu’en se rendant physiquement à la préfecture, mais en plus et surtout, qu’il leur est interdit de prendre des notes ou de divulguer ces informations à qui que ce soit d’extérieur, sous peine d’une amende complètement démesurée qui peut aller jusqu’à 45 000 euros. Donc ici encore, même si la loi prétend être une loi de transparence, elle empêche totalement que l’information circule en pratique.

Et des exemples comme ça il y en aurait un paquet, que ce soit sur la réserve parlementaire, l’indemnité représentative de frais de mandats, ou plein d’autres sujets. En fait, à chaque gros scandale pratiquement, il y a eu comme réponse politique une loi inutile, pour faire croire qu’on fait quelque chose, mais qui remet pas vraiment en cause la corruption en général, parce que cette loi est beaucoup trop spécifique.

Par exemple en 1971, il y a le scandale de la garantie foncière qui éclate, et la réforme en réponse ça a été d’interdire aux parlementaires de diriger une société spéculant sur l’immobilier. Alors qu’iels auraient pu pour le coup en profiter pour interdire toute activité lucrative en parallèle du mandat, ce qui aurait été logique et aurait fait plus de sens, on interdit juste la spéculation sur l’immobilier mais pas d’autres trucs. Autrement dit, ce genre de loi empêche juste que de nouvelles affaires se reproduisent exactement à l’identique, mais n’empêche pas pas que de nouvelles affaires un peu différentes se produisent…

Autre exemple bien parlant aussi : en 1990, suite à une série d’affaires de financement illégal des campagnes électorales, une nouvelle loi est votée qui rajoute un certain nombre de restrictions (dont un plafond de dépenses par campagne), mais qui est surtout… une loi d’amnistie. C’est à dire que, sous prétexte que la loi vient combler un vide juridique, on décide de « repartir de zéro » et d’amnistier toutes les affaires qui ont eu lieu avant juin 1989, et donc d’éviter à tous les gens qui ont magouillé pendant cette période d’être poursuivi·e·s et condamné·e·s ! Pratique quand même non ?

D’une manière plus générale, les lois qui prétendent lutter contre la corruption sont peu sévères en pratique, et la justice pas du tout indépendante. Dans la loi, la plupart des délits de corruption encourent 10 ans de prison en théorie, sauf qu’il y a un piège : c’est que comme la corruption est considérée comme un délit, et pas comme un crime, ça fait que le délai de prescription est de trois ans seulement après les faits (et non après leur découverte).

Or, comme on l’a vu, la corruption se fait dans l’ombre, et il y a énormément d’affaires qui sont pas découvertes tout de suite, mais qui sont découvertes longtemps après les faits, et donc très souvent plus de trois ans après les faits, ce qui en pratique empêche beaucoup de poursuites d’aboutir, à cause de ce délai de prescription ! Ça a été le cas entre autres pour l’affaire Bettencourt, dont une bonne partie du volet juridique était prescrite quand elle a été découverte, et notamment le délit de financement illégal de parti politique

Le fait que ce la corruption soit juste un délit fait aussi que ces affaires très sensibles vont être jugées par des juges professionnel·le·s, et non par des jurys tirés au sort (comme le sont les crimes par exemple), jurys qui pourraient être plus sévères que des juges avec les affaires de corruption.

Il y a aussi le fait qu’en France, le Parquet (c’est à dire l’accusation quand il y a un procès), est soumis hiérarchiquement au ministère de la justice… donc au pouvoir politique, et peut décider de classer sans suite des affaires quand ça l’arrange. Il y a aussi l’immunité de beaucoup d’élu·e·s, et puis la célèbre Cour de Justice de la République (CJR), une juridiction d’exception qui fait que beaucoup d’élu·e·s vont être jugé·e·s par d’autres élu·e·s plutôt que comme des justiciables ordinaires… sans parler du manque de moyens de la justice et des instances anti-fraudes, qui nuit aussi à leur efficacité, et plus généralement encore de son manque total d’impartialité, illustré entre autres par la quantité de corrompu·e·s qui font jamais de prison, et des peines très peu sévères voire des non-lieux, relaxes, et autres condamnations symboliques mais avec dispense de peine, pour plein de raisons que je vais pas détailler ici par manque de temps, mais je reparlerai probablement de l’institution judiciaire dans un autre épisode.

Je vais citer un seul exemple, sur la corruption internationale : d’après l’OCDE, « Il est décevant qu'en France […] jamais une entreprise n'a été condamnée de manière définitive pour corruption d'agents publics étrangers ». Hé non, ça vous surprend peut-être, mais aucune entreprise n’a jamais été condamnée définitivement pour ce type de délits, ce qui est quand même assez fort. Vous vous rappelez que j’avais cité tout à l’heure l’exemple de l’entreprise Safran, condamnée en 2012 à 500 000 euros d’amende pour corruption au Nigeria ? Hé bien non seulement cette amende de départ était déjà dérisoire par rapport au montant total du marché public obtenu (171 millions d’euros quand même), mais en plus la condamnation et l’amende ont été annulées en appel, alors que l’enquête avait établi que des centaines de milliers d’euros de pots-de-vin avaient quand même été versés. Hé bien l’OCDE nous explique que c’est pas une exception, mais au contraire la règle, et je crois que ça illustre bien le laxisme général de la justice quand il s’agit de juger les criminel·le·s en col blanc…

Au contraire de ça, c’est même les lanceurs·euses d’alerte qui sont condamné·e·s (c’est à dire des gens qui dénoncent des affaires de corruption), et les politiques essayent de faire passer des lois pour dissuader ces lanceurs·euses d’alertes de sortir des scandales, comme par exemple la fameuse loi sur le « secret des affaires », votée à l’été 2018.

Bref, en vérité, le cadre légal est non seulement pas fait pour lutter contre la corruption, mais au contraire, il est fait pour la protéger et pour éviter que les corrompu·e·s soient réellement inquiété·e·s.

Or le cadre légal… il est fixé (lui aussi) par les… élu·e·s. Par la majorité des élu·e·s, plus précisément (puisque, encore une fois, les lois se votent à la majorité aux parlements). J’ai cité plein d’exemples où il serait extrêmement facile de renforcer la transparence et la lutte contre la corruption, et pourtant, mandat après mandat, ça n’arrive pas.

Et donc, c’est bien parce que la majorité des élu·e·s ne le souhaitent pas, et ne veulent pas plus de transparence, ni de véritables sanctions pour les corrompu·e·s, qu’il n’y en a pas.

Donc clairement, si la majorité des élu·e·s au pouvoir ne veulent pas lutter contre la corruption et les conflits d’intérêt, ici encore, la seule explication possible, c’est qu’iels sont soit elleux-mêmes corrompu·e·s, soit qu’iels dépendent indirectement de gens corrompu·e·s d’une manière ou d’une autre.

Donc voilà, je pense que tout ça démontre que la majorité des élu·e·s sont corrompu·e·s, directement ou indirectement, sans ça ils ne voteraient pas des lois qui vont contre l’intérêt général pour le compte d’entreprises privées, et sans ça, ils essayeraient forcément de lutter contre la corruption, et pas de la protéger.