Pour une démocratie directe

Épisode 1 : L’illusion du choix

Un « choix » artificiellement restreint

Comment se fait-il qu’on en arrive à avoir ce choix illusoire à chaque fois, à chaque élection ? Comment se fait-il qu’on ait le choix concrètement qu’entre des alternatives qui, malgré certaines différences, sont toutes prêtes à faire ce que veut le patronat ?

Tout simplement parce que tout le monde ne peut pas se présenter à une élection, et tout le monde ne peut pas avoir des chances de gagner. En pratique il y a une présélection qui se fait avant l’élection, avec un certain nombre de « filtres » qui vont écarter les gens qui remettraient trop en cause le statu quo. Les 3 filtres les plus importants vont être :

Le budget

D’abord, y a la question du budget de la campagne électorale. Une campagne électorale, ça coûte cher, et si vous voulez avoir une chance de gagner une grande élection, eh ben il vous faudra forcément un minimum de budget, et plus vous aurez d’argent, plus vous serez avantagé·e dans la course électorale.

Pour donner un ordre de grandeur, la campagne présidentielle de 2012 avait coûté 21 millions d’euros (officiellement…) à chacun des deux finalistes (Nicolas Sarkozy et François Hollande), et le plafond de dépenses pour une élection législative est de 38 000 euros par candidat·e. Donc ce genre de sommes est clairement pas à la portée de toutes les bourses, et même si tou·te·s les candidat·e·s vont pas forcément engager le maximum possible, les sommes qu’ils peuvent engager vont quand même leur donner un gros avantage.

En pratique, l’argent permet de faire face aux différentes dépenses qui peuvent se présenter pendant la campagne, mais aussi d’avoir du matériel de propagande de meilleure qualité, et en plus grande quantité : des tracts de plusieurs pages, en couleurs, mieux présentés, des meilleures affiches, etc. et du matériel en plus grande quantité. Donc un gros budget permet de faire une meilleure campagne, et ça permet aussi d’organiser des événements comme des meetings par exemple, qui sont essentiels pour donner l’impression d’un grand soutien populaire.

Autrement dit l’argent va donner un énorme avantage dans une campagne électorale, et si on veut avoir une chance de gagner une grande élection, eh ben il faut soit avoir soi même pas mal d’argent, soit avoir le soutien de ceux qui en ont.

Les partis politiques

Ensuite, y a la question des partis politiques. Pour avoir une chance de gagner une grande élection, il faut avoir le soutien d’un grand parti politique. Il y a besoin d’une machine politique efficace, d’un réseau d’élu·e·s et de personnalités connues localement et qui vont soutenir la campagne localement, et besoin d’un réseau de militant·e·s prêt·e·s à aller faire la campagne, distribuer les tracts, coller les affiches, et donner une impression de masse aux meetings (la plupart des gens qui vont aux meetings politiques sont des militant·e·s ou des sympathisant·e·s du parti qui l’organise). Donc dans tous les cas on a besoin du réseau militant et de la machine politique d’un parti.

Sauf que ces partis là, ils vont pas permettre à n’importe qui d’être leurs candidats, et, en interne des partis, ceux qui décident qui peut être candidat·e ou pas, ça va être des élu·e·s locales·aux, ou des responsables internes du parti… autrement dit, des gens qui ont déjà eux-mêmes des mandats à défendre, et des intérêts à défendre, et qui vont évidemment jamais laisser passer des gens qui remettraient en cause ces intérêts-là, et qui remettraient en cause le statu quo.

Notez que parfois il y a des procédures de sélection des candidat·e·s en apparence plus démocratiques, comme une primaire interne où tou·te·s les militant·e·s peuvent voter (voire des primaires « ouvertes » aux sympathisant·e·s, comme l’ont fait le PS en 2011 et l’UMP en 2016), mais ça change pas grand chose, parce que tout le monde ne peut pas être candidat·e à ces primaires. Pour pouvoir se présenter dans ce genre de primaire interne, il faut avoir un certain nombre de parrainages d’élu·e·s du parti, et dans tous les cas pour avoir une chance de gagner, il faut le soutien d’un certain nombre de personnalités qui soient un peu populaires dans le parti en question.

Donc concrètement, celleux qui décident qui peut ou non se présenter au nom du parti sont des élu·e·s et des personnalités politiques connues de ce parti, et évidemment, ces gens-là écarteront toute personne qui remettrait en cause le statu quo, et qui remettrait en cause leurs intérêts personnels.

Les médias

Enfin, dernier gros paramètre : les médias.

Si on veut avoir une chance de gagner une grande élection, il faut forcément avoir le soutien des médias. Pourquoi ? Ben parce que les médias (et notamment les médias de masse) sont la principale source d’information du public à propos des candidats. Évidemment, puisque pour toute élection à grande échelle (c’est à dire, avec des milliers, ou avec des millions de votants), tous les électeurs·trices ne peuvent pas connaître personnellement tous les candidats, c’est évidemment impossible, et donc la seule information qu’on va avoir sur ces candidats viendra forcément des médias.

Donc les médias ont une influence considérable sur l’élection, en pratique c’est même eux qui font largement les résultats de l’élection, et selon la façon dont ils traitent les différentes candidates et candidats, ils n’auront pas les mêmes chances de gagner.

D’abord, il y a la question du temps de parole, où certaines personnalités politiques peuvent avoir beaucoup plus de temps de parole que d’autres, mais aussi des conditions de prise de parole : la façon dont les médias vont traiter leurs invités politiques peut donner une impression très différente au public. On peut prendre l’exemple de Philippe Poutou en 2012 : lorsqu’il avait été reçu dans l’émission ONPC de Laurent Ruquier, où il avait été malmené, voire ridiculisé tout au long de l’émission, sous prétexte principalement de son nom, mais du coup, pour le public, Philippe Poutou était devenu, à la suite de cette émission et d’autres, une sorte de candidat-gag, qui avait concrètement plus aucune chance de faire un score honorable aux élections.

Les médias peuvent aussi avantager ou désavantager une candidature selon les informations qu’ils choisissent de diffuser ou non. Ils peuvent notamment insister sur les contradictions mineures de tel candidat ou candidate pour la discréditer, ou au contraire éviter de parler des scandales qui touchent certaines personnalités politiques pour protéger ces personnalités et éviter de nuire à leur carrière. Ça a été le cas par exemple, en novembre 2014 pour Nicolas Sarkozy, quand un certain nombre de médias ont « oublié » de parler du fait que des experts judiciaires venaient d’authentifier une preuve qui l’incriminait dans l’affaire Kadhafi.

Enfin, la façon dont les médias parlent des différents candidats influe aussi sur l’impression que le public va en avoir. Comme par exemple lors d’une analyse d’après-débat, où les commentateurs vont expliquer que tel candidat aurait « dominé » le débat, et était meilleur que les autres en face, ça influe évidemment sur la perception que va avoir le public de qui a « gagné » ou non le débat.

Donc les médias ont énormément d’influence sur l’élection.

Or le problème est que la plupart des grands médias sont rarement neutres politiquement. Ils peuvent avoir des intérêts à défendre, et du coup vouloir favoriser telle ou telle candidature plutôt qu’une autre. Pour les médias privés, les raisons en sont évidentes, puisque ces médias appartiennent au patronat, donc vont défendre ses intérêts. Mais même les médias publics sont souvent orientés dans un sens pro-patronal.

Pour s’en convaincre il suffit de regarder (par exemple) France 2, l’une des principales chaînes de télévision publique françaises : le responsable du service « économie » de France 2, c’est François Lenglet, un mec qui passe son temps à expliquer que les priorités économiques devraient être la réduction des dépenses publiques, et la baisse du « coût » du travail pour être plus compétitifs. Autrement dit : l’économiste en chef de France 2 dit qu’il faut attaquer les salaires et les conditions de travail de la masse de la population pour augmenter les bénéfices des actionnaires et du patronat.

Donc on voit bien que celles et ceux qui fixent les lignes éditoriales de ces chaînes, y compris des chaînes publiques, défendent bien les intérêts du patronat, et ça peut évidemment influer sur la façon dont ces médias vont traiter les différentes candidatures aux élections.

Donc pour résumer, ces 3 paramètres (les médias, les partis politiques, et le budget) vont exclure de la compétition électorale tous les gens qui remettraient en cause le statu quo, tous ceux qui remettraient en cause les intérêts du patronat ou de l’élite politique déjà en place.

Le résultat de ces mécanismes, c’est que les seuls qui ont une chance raisonnable d’arriver au pouvoir par l’élection sont ceux qui défendent les intérêts du patronat et de la classe politique existante. Et si ces gens-là arrivent au pouvoir, ce sera seulement parce que le patronat l’aura bien voulu et accepté, et donc ils seront redevables, une fois au pouvoir, au patronat, pour leur élection.

Conclusion

Voilà, ce sera tout pour cet épisode, dans l’épisode prochain on approfondira un peu plus cette question des médias justement, et on verra dans le détail pourquoi ils sont à ce point soumis au patronat, y compris les médias publics, et surtout à quel point ils le sont, et tout ce que ça implique d’un point de vue politique, et pour l’élection. À bientôt.