Pour une démocratie directe

Épisode 4 : Les intérêts des élu·e·s

Bonjour tout le monde. Bienvenue dans un nouvel épisode de cette série consacrée aux élections.

Dans les épisodes précédents, on avait vu que le choix qu’on croyait faire au moment des élections était largement faux, puisque toutes les candidatures sont, peut-être pas exactement identiques, mais au minimum assez proches les unes des autres, et surtout qu’elles défendent toutes les intérêts du patronat, parce qu’elles ont été présélectionnées par le patronat avant l’élection. Je rappelle que, pour avoir une chance d’être élu·e, il faut notamment de l’argent (or, c’est le patronat qui a l’argent aujourd’hui…), et il faut également avoir le soutien des médias, qui sont eux aussi entièrement soumis au patronat et servent largement les intérêts du patronat.

Aujourd’hui, on va voir que les élu·e·s, une fois au pouvoir, ont des intérêts différents du reste de la population, et que c’est pour ça qu’iels prennent des mauvaises décisions : les mauvaises décisions des élu·e·s ne viennent pas (contrairement à ce qu’on croit souvent) de leur incompétence ou de leur nullité, mais du fait qu’iels ont des intérêts différents.

Des élu·e·s non représentatifs·ves de la population

La première raison pour laquelle les élu·e·s ont des intérêts différents du reste de la population, c’est tout simplement qu’iels ne sont pas pas représentatif·ve·s de l’ensemble de la population.

On peut prendre l’exemple des femmes, qui sont largement sous-représentées dans les lieux de pouvoir. Jusqu’en 2017, au parlement français, il y avait à peu près un quart de femmes, pour 75 % d’hommes, et si on remonte un peu plus loin, jusqu’en 1997 (donc fin du XXème siècle), il y avait moins de 10 % de femmes à l’Assemblée, pour plus de 90 % d’hommes, alors que les femmes représentent, je rappelle, à peu près la moitié de la population française.

Et les femmes sont pas le seul exemple de groupe sous-représenté de la population. On peut citer aussi par exemple les ouvriers·ères, et les employé·e·s en général : cette catégorie-là représente à peu près la moitié de la population française aussi au total, mais il y a moins de 5 % des député·e·s qui sont issu·e·s du milieu ouvrier ou employé.

À l’inverse, les cadres, et ce qu’on appelle généralement les « professions intellectuelles supérieures », représentent moins de 20 % de la population au total, mais composent 80 % de l’Assemblée. On a plein d’autres groupes et de minorités qui sont largement sous-représentées, voire exclues des lieux de pouvoir, par exemple tou·te·s les non-blanc·he·s, les LGBT, les personnes en situation de handicap, les jeunes, les pauvres et les précaires en général, sont quasiment exclu·e·s des lieux de pouvoir, et pas du tout (ou très peu) représenté·e·s dans les assemblées politiques.

Et en gros, les élu·e·s sont surtout des hommes blancs aisés, qui sont largement surreprésentés par rapport à leur poids réel dans la population.

La cooptation

Alors quelles sont les raisons de cette non-représentativité ? Comment se fait-il que les élu·e·s soient tellement pas représentatifs·ves de l’ensemble de la population ?

Un des premières raisons, j’en ai déjà parlé, c’est la cooptation, c’est à dire le fait que ce soit celleux qui ont déjà le pouvoir dans les partis politiques qui vont désigner leurs successeurs·euses, ou leurs futur·e·s collègues.

Je rappelle que, si vous voulez avoir une chance de gagner une élection, il vous faut avoir l’investiture d’un parti politique déjà un minimum implanté, pour pouvoir vous présenter à l’élection avec le soutien de ce parti. Mais pour ça, il vous faut avoir l’accord de suffisamment d’élu·e·s et de responsables internes déjà en place dans ce parti, parce que ces responsables internes ont en gros le contrôle sur l’appareil politique du parti, et donc ont plein de moyens de favoriser ou de freiner la progression politique d’autres personnes à l’intérieur de ce parti. Évidemment tout ça c’est pas officiel, généralement les partis prétendent être démocratiques dans leur fonctionnement, mais en pratique, c’est bien comme ça que ça se passe.

Bref, ces élu·e·s et ces responsables qui sont déjà en place, c’est déjà majoritairement des hommes blancs aisés, qui bénéficient donc à fond des rapports de domination actuels de la société, et qui ont donc intérêt à préserver ces rapports de domination. Donc ces hommes blancs aisés qui ont le pouvoir en interne des partis politiques, ils ont intérêt à ce que le pouvoir reste entre les mains d’hommes blancs aisés (qui vont avoir les mêmes intérêts qu’eux).

Ils vont pas avoir intérêt par exemple à ce qu’il y ait plus de femmes en politique, parce que ça ferait évidemment moins de place pour les hommes.

Ça c’est illustré sur question de la parité par exemple : il existe depuis 2000 une loi pour la parité en politique, qui pénalise par des amendes les partis qui présentent moins de femmes que d’hommes aux élections législatives, mais les principaux partis s’en foutent, et vont contourner cette loi, de plein de façons différentes. Par exemple en présentant des femmes dans les circonscriptions non-gagnables (les circonscriptions où le parti fait les scores les plus faibles : pouf on va mettre les femmes à ces endroits-là, on s’en fout), ou alors, carrément, ces partis préfèrent payer les amendes plutôt que de présenter des femmes.

Pourquoi ? Tout simplement car ce sont des hommes qui prennent les décisions dans ces partis, et qui préfèrent évidemment avoir les mandats pour eux, ou pour leurs collègues masculins, plutôt que ce soit des femmes qui aient ces mandats, quitte à faire perdre un peu d’argent à ces partis : de toute façon ils s’en foutent, c’est pas leur argent à eux.

D’ailleurs la loi sur la parité, elle est largement inefficace et insuffisante hein (puisqu’elle est aussi facilement contournable…), et on pourrait se poser la question : peut-être que si elle est inefficace et insuffisante, c’est en partie justement parce qu’elle a été votée par des hommes, qui ne voulaient pas réellement remettre en cause cette exclusion des femmes des lieux de pouvoirs politiques.

Alors évidemment, j’ai pris l’exemple de la parité, mais à peu près les mêmes mécanismes fonctionnent pour exclure les autres groupes discriminés (les non-blancs, les pauvres, etc.) : tant que c’est des hommes blancs et riches qui ont le pouvoir de désigner leurs successeurs·euses ou leurs futurs collègues, le pouvoir restera entre les mains d’hommes blancs et riches.

L’élection favorise les membres des groupes dominants

Donc la cooptation, c’est la première raison de la non-représentativité des élu·e·s du reste de la population.

Mais il y a une deuxième raison, c’est que le principe de l’élection favorise les membres des groupes dominants dans l’inconscient collectif, et donc dans l’inconscient de l’électorat.

On s’en rend pas forcément compte, mais on va avoir tendance à voter plus facilement pour un homme que pour une femme, plus facilement pour un Blanc que pour un Noir, etc. Pourquoi ? Car ces gens correspondent le mieux à l’image qu’on a du pouvoir et des gens capables d’exercer des responsabilités.

C’est pas forcément conscient hein : on se dit pas « je vais voter pour ce candidat plutôt que cette candidate car c’est un homme ». Non, c’est juste que quand on les entend parler tou·te·s les deux, on va avoir l’impression que lui parle avec plus d’assurance qu’elle, et maîtrise donc (sous-entendu) mieux les sujets qu’elle (même si c’est pas forcément le cas), on va avoir l’impression qu’il hésite moins, qu’il a plus « les épaules » pour la fonction d’élu·e qu’on attend.

Ces impressions elles sont évidemment fausses hein (il n’y a pas de raison objective de penser que les femmes seraient moins compétentes que les hommes, ou que les non-blanc·he·s seraient moins compétents que les blanc·he·s), mais pourtant, ces préjugés sont très répandus.

Pourquoi ? Parce qu’on vit dans une société sexiste, raciste, etc. on nous répète en boucle que les hommes seraient plus compétents que les femmes, que les blanc·he·s seraient plus sérieux·ses que les non-blanc·he·s, et on nous habitue H24 à ce que les « experts » (qu’on invite dans les médias par exemple, et qui donc ont une légitimité apparente, puisqu’on les invite et qu’on leur donne la parole) soient des hommes blancs en costard. Et donc, le public finit par intégrer l’idée que ceux-là seraient plus sérieux et plus capables d’exercer des responsabilités.

Ces préjugés de l’électorat vont influer évidemment sur les chances d’être élu·e. C’est pas la seule chose qui influe, évidemment, mais, à qualité à peu près égale, un homme aura plus de chances d’être élu qu’une femme, un·e blanc·he aura plus de chances d’être élu·e qu’un·e noir·e.

Même chose aussi pour la question sociale : si vous avez le choix entre un·e candidat·e riche et un·e candidat·e pauvre, instinctivement, vous allez considérer que la·e riche serait plus compétent·e parcequ’iel a « réussi » sa vie, là où le pauvre aurait (supposément) « échoué ». Naturellement on va préférer confier les décisions au riche, parce que (supposément) ce serait donc un meilleur gestionnaire.

Donc le principe de l’élection favorise en fait le maintien des rapports de domination dans la société, favorise le fait de confier le pouvoir à ceux qui correspondent le plus à l’image des détenteurs du pouvoir.

Les conséquences de la non-représentativité des élu·e·s

Les conséquences de ça, c’est que, si vous avez une assemblée composée d’une écrasante majorité d’hommes, cette assemblée va pas forcément défendre les intérêts des femmes aussi bien qu’une assemblée à peu près paritaire.

Par exemple, sur l’avortement, on peut imaginer que s’il y avait eu plus de femmes à l’Assemblée Nationale plus tôt, le droit à l’avortement aurait été obtenu plus tôt, et serait probablement plus facile d’accès et plus effectif qu’il ne l’est aujourd’hui. Même chose sur la parité, qu’on a déjà vue : les hommes ont clairement intérêt à ce que les femmes continuent d’être exclues des lieux de pouvoir. Pareil pour les précaires : si tou·te·s les élu·e·s ont du fric, et ont toujours eu une situation stable, iels ne vont pas forcément défendre les intérêts des smicard·e·s et des pauvres en général (ou pas aussi bien et pas autant que des pauvres les défendraient elleux-mêmes, s’iels étaient correctement représenté·e·s à l’Assemblée).

Pareil pour les violences policières racistes : s’il n’y a pratiquement que des blanc·he·s à l’Assemblée, la question des violences policières racistes sera peut-être jamais traitée, ou certainement pas de la même manière et avec l’importance qu’elle mériterait.

Pareil pour les droits des LGBT : il a fallu attendre 2013 pour l’ouverture du mariage et de l’adoption pour les couples de même sexe ; en 2018, il n’y a toujours pas la Procréation Médicalement Assistée (PMA) pour les couples de femmes ; et il a fallu attendre 2016 pour avoir le changement d’état civil libre et gratuit pour les personnes trans (et encore la démarche reste aujourd’hui beaucoup trop complexe, et beaucoup trop longue).

Donc la première cause des intérêts différents des élu·e·s avec la population, c’est tout simplement la non-représentativité des élu·e·s du reste de la population.